Le 20 juin de chaque année est la Journée mondiale des réfugiés, proclamée par les Nations Unies en 2001, à l’occasion du 50e anniversaire de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés. Cette journée internationale représente l’occasion de rendre hommage aux réfugié.e.s partout dans le monde et de promouvoir leurs droits.
Les réfugié.e.s sont des personnes qui ont dû fuir leur pays d’origine en raison de persécutions liées à leur ethnie, religion, nationalité ou leurs opinions politiques. Il s’agit principalement de personnes qui ont vécu des atrocités, que ce soit dans leur pays ou pendant leur parcours : privation de nourriture et d’eau, détention arbitraire, torture, viol, traite, et/ou ont été témoins de massacres ou même de génocides.
À la fin de l’année 2021, en raison de persécutions, de conflits, de violences, de violations des droits humains ou d’événements troublant gravement l’ordre public, 89,3 millions de personnes dans le monde, dont 21,3 millions des réfugiés, ont été contraintes à quitter leur pays d’origine.[1]
En Tunisie, en mai 2022, il y a environ 9 703 personnes enregistrées par le Haut-Commissariat aux Réfugiés des Nations unies (UNHCR). Parmi elles, 65% (6 285) sont des demandeuses d’asile et 35% (3 368) sont des réfugiées.[2] La plupart de ces personnes sont installées dans le Grand Tunis, Sfax, Médenine et un pourcentage plus faible à Sousse, Gafsa, Tataouine, Gabès, Nabeul et Kebili.
« Toute personne sur notre planète a le droit de rechercher la sécurité »[3]
Tel est le leitmotiv annoncé par le UNHCR lors de cette journée mondiale du réfugié, mais comment se traduit-elle dans la réalité ?
Il est aussi énoncé parmi les Objectifs de Développement Durables (ODD) d’ici l’horizon 2030, l’objectif 10.7, qu’il faille « Faciliter la migration et la mobilité de façon ordonnée, sans danger, régulière et responsable, notamment par la mise en œuvre de politiques de migration planifiées et bien gérées ».
En l’absence totale de cadre juridique national organisant le droit et la procédure d’asile, c’est la représentation du UNHCR qui est la garante de l’application des dispositions de la Convention de Genève de 1951, ratifiée par la Tunisie, et qui veille à ce que les droits des réfugié.e.s et demandeur.se.s d’asile soient protégés et appliqués, tout en œuvrant en même temps pour des solutions plus durables.
En Tunisie, les réfugiés et les demandeurs d’asile vivent dans une situation extrêmement critique. Depuis décembre 2021, le UNHCR, agence des Nations Unies chargée de la protection des réfugié.e.s et demandeur.se.s d’asile et garante du respect de la convention de Genève, a considérablement réduit l’assistance et l’aide humanitaire, y compris l’accès aux soins et au logement, malgré l’augmentation du nombre de personnes en quête de protection en Tunisie particulièrement des femmes et des mineurs.
Bien que 22,6 % des personnes enregistrées par l’agence de l’ONU se trouvent à Sfax (2 194 sur 9 703), le UNHCR a confirmé la fermeture de son bureau dans cette ville, à la fois pour des raisons budgétaires mais aussi en raison du nombre élevé, des demandes d’asile évaluées comme infondées.
En plus de la limitation d’accès au système de protection, s’ajoutent la longueur des procédures et de leur traitement, les difficultés d’accès à un travail et à des projets de vie durables et les retards dans l’obtention d’une aide financière. Les réfugié.e.s en Tunisie n’ont aucun droit lié à leur statut. Ils n’ont pas accès au travail mais seulement à ce que l’UNHCR appelle le « travail informel ». Ces éléments ne font qu’aggraver la vulnérabilité des réfugié.e.s et demandeur.se.s d’asile dans un contexte où les actes de discriminations racials, de violence et de discrimination de tout genre à l’encontre des personnes migrantes ne font qu’augmenter.
Évacuation sans solution
Cette année a été charnière pour un grand nombre de réfugié.e.s et de demandeur.euse.s d’asile en Tunisie. Depuis le 16 avril 2022, environ 214 personnes réfugié.e.s, demandeur.se.s d’asile et apatrides – dont des femmes, des enfants et des mineurs non accompagnés – arrivés progressivement du sud de la Tunisie, ont entamé un sit-in devant le siège de UNHCR. Cette manifestation s’inscrit dans la continuité du sit-in qui a démarré le 9 février 2022 à Zarzis, dans un acte de protestation contre les conditions difficiles dans lesquelles ces personnes se trouvent depuis plusieurs années.
Le samedi 18 juin 2022, les forces de police ont dispersé le sit-in des manifestant.e.s restants devant le siège du UNHCR, sur demande de ce dernier qui ne considérait pas l’ensemble du groupe couvert par son mandat. L’évacuation musclée par le biais de la police a été accompagnée d’arrestations, d’agressions verbales et physiques. Alors qu’un groupe de personnes a été transféré dans le foyer, au moins trois personnes, dont des réfugié.e.s et des demandeur.euse.s d’asile, ont été arrêtées et placées en garde à vue, tandis que toutes les autres ont été dispersées vers des destinations inconnues.
À deux jours de la Journée internationale des réfugié.e.s, le message renvoyé est loin de l’esprit de cette journée : quelle que soit la situation de ces personnes, on ne peut répondre à la détresse par la force.
La Tunisie, un pays « d’accueil » pour les réfugié.e.s et demandeur.se.s d’asile ?
Les migrant.e.s, réfugié.e.s et demandeur.se.s d’asile ayant rejoint la Tunisie auraient dû y trouver assistance et protection. Au contraire, leurs conditions de vie et de santé se sont détériorées. Ils vivent dans une situation précaire, isolés dans les centres du UNHCR de Zarzis et Médenine, incapables de se construire un avenir, en l’absence d’un cadre juridique régissant leurs droits, et victimes de nombreuses manifestations de haine et d’agressions racistes.
La Tunisie, signataire de la Convention de Genève de 1951, ne s’est jamais dotée d’instruments internes pour la protection et la prise en charge des réfugié.e.s et demandeur.se.s d’asile. Les obligations de la Tunisie vis-à-vis des personnes migrantes sur son territoire, notamment en ce qui concerne les garanties de traitement digne et humain, l’égalité devant la loi, l’accès aux droits civiques et aux droits socio-économiques tels que le droit à la santé et le droit au travail, découlent de ses engagements internationaux.
En l’absence d’un cadre normatif national facilitant la régularisation des personnes migrantes et eu égard de la difficulté de légiférer dans un contexte d’exception, la Tunisie devrait déployer des efforts concrets afin de se conformer au droit international, respecter ses obligations internationales de protection des droits humains, y compris celles relatives à la migration et à l’asile, et mettre en œuvre la loi relative à la lutte contre les discriminations raciales, notamment en matière de répression des actes de violences et de lutte contre l’impunité.
Au lieu d’un système d’accueil, la Tunisie opte pour un système de « gestion de la migration » dont l’épine dorsale repose sur le contrôle des frontières et, en particulier, sur la réduction du nombre de départs vers l’UE, mais aussi sur les interceptions en mer par les garde-côtes tunisiens.[4] Selon les chiffres actualisés du UNHCR, 100% des réfugié.e.s et demandeur.se.s d’asile en 2022 sont arrivés par la mer depuis la Libye et 70% de ceux qui ont transité par la Libye ont subi une forme de violence ou d’abus (torture, mauvais traitements en détention, violence sexuelle, etc.) qui sont difficilement pris en charge en Tunisie.[5] Alors que la Tunisie, soutenue financièrement par les États membres de l’UE, s’engage dans le renforcement des frontières, elle enferme des centaines de personnes migrantes dans un pays qui ne dispose d’aucune politique d’accueil, de prise en charge, de protection et d’intégration.
Et encore, les étudiants et stagiaires d’origine subsaharienne qui viennent de façon purement légale en Tunisie dans le but d’étudier et d’approfondir leurs connaissances, sont victimes de discrimination et de xénophobie à l’aéroport, dès leur arrivée sur le territoire tunisien par les forces de l’ordre.
Les tunisien.ne.s : des réfugiées privés de leur droits d’asile en Italie
En cette journée de commémoration internationale, il nous incombe de rappeler et de remettre au centre de la réflexion le sort des Tunisien.ne.s émigrés dans d’autres pays, certains également en quête de protection et d’asile.
Le parcours des tunisien.ne.s arrivant en Italie est l’un des exemples de pratiques sommaires, rapides et standardisées qui empêchent l’accès aux droits, à la protection et même à l’asile pour les personnes engagées dans la mobilité humaine.
Ce dernier ressemble à un véritable chemin de croix, depuis leur interception en mer par les garde-côtes italiens jusqu’à leur rapatriement vers la Tunisie en passant par leur rétention au sein des différentes structures.
Dans les faits, les Tunisien.ne.s n’ont pas un accès fluide aux informations légales appropriées leur permettant de faire valoir leurs droits. Le principal obstacle à l’égard des Tunisien.ne.s tout au long du processus migratoire en Italie est, donc, souvent lié à des informations absentes ou partielles. Ils/elles se retrouvent dans les centres de détention en attente de leur rapatriement sans jamais avoir été effectivement informé.e.s de la possibilité de demander une forme de protection internationale. La limitation de l’accès à l’information est devenue la pratique adoptée pour empêcher les personnes de faire valoir leurs droits et ainsi accélérer les mesures de rapatriement.
Bien que l’éligibilité à la protection internationale ne dépende en aucun cas du pays d’origine mais bien des motivations personnelles qui ont conduit la personne à migrer, il semblerait que les autorités italiennes ainsi que les agents des centres exercent un certain pouvoir discrétionnaire à autoriser ou refuser l’accès aux demandes d’asile, en appliquant souvent une sélection ex ante généralement basée sur le pays d’origine de la personne. En effet, l’article 33(2) de la directive européenne 2013/32 permet de renvoyer le demandeur vers son pays d’origine voire vers un pays tiers qualifié de « sûr ». Cela signifie que les demandes d’asile émises par des personnes venant d’un «pays tiers sûr» pourront être considérées irrecevables.
La classification de la Tunisie comme « pays d’origine sûr » par les autorités italiennes[6], le manque d’information ainsi que les procédures expéditives, sont des réelles entraves au droit universel d’accéder à la protection internationale.
La gravité de cette situation est accentuée par le fait qu’en conséquence de la décision d’expulsion ou de rapatriement différé, il y a une interdiction de retour de ces personnes expulsées dans les pays de l’espace Schengen. Cette mesure a d’énormes conséquences pour les personnes qui n’entrent pas forcément dans la catégorie des « migrant.e.s économiques » dans laquelle elles ont été placées et risque de mettre en danger la vie des potentiel.le.s demandeur.se.s d’asile, en violation du principe de non-refoulement.
De ce fait, et en cette journée symbolique, les organisations signataires de cet appel :
● Expriment leur soutien indéfectible à toutes les personnes réfugiées et demandeuses d’asile dans le monde dans leurs demandes d’accès à leurs droits socio-économiques, civiques et politiques, ainsi qu’à leurs revendications pour des conditions de vie humaines ;
● Exhortent les autorités nationales au respect des conventions internationales ratifiées prévoyant la protection et la prise en charge de toutes les personnes réfugiées et demandeuses d’asile sur leur territoire, quelles que soient leur nationalité et leur pays de destination;
● Appellent les instances onusiennes, et en particulier le UNHCR, à protéger les droits des personnes migrantes, relevant de leur mandat, et conformément aux droits fondamentaux et à la dignité humaine, et à être plus transparentes quant à leur action auprès de la société civile et de la communauté internationale.
● Condamnent les politiques inhumaines qui éludent le respect des engagements internationaux et poussent à renvoyer les réfugiés et demandeurs d’asile des pays du Nord vers les pays du Sud.
1. LTDH – La ligue tunisienne pour la défense des Droits de l’Homme
2. FTDES – Forum Tunisien pour les Droits Économiques et Sociaux
3. ASF – Avocats Sans Frontières Tunisie
4. OCTT – Organisation Contre la Torture en Tunisie
5. ATSM – Association Tunisienne de Soutien des Minorités
6. MDM – Médecins du monde, mission Tunisie
7. Save the children – Tunisie
8. ACL – Association Citoyenneté et Libertés
9. Comité de Vigilance pour la Démocratie en Tunisie – Belgique
10.Associations Bouthaina pour les femmes exposées aux risques
11.TAT – Terre d’Asile Tunisie
12.Association Nachaz-Dissonances
13.ARTHEMIS pour la protection des droits et des libertés
14.ATP+ – Association Tunisienne de Prévention Positive
15.PDMT – Psychologues Du Monde Tunisie
16.AESAT – Association des Étudiants et Stagiaires Africains en Tunisie
17.ASGI – Associazione per gli Studi Giuridici sull’Immigrazione
18.Association MADA Djerba
19.Association Ness pour la Prévention Combiné
20.Afrique Intelligence
21.Réseau tunisien pour la justice transitionnelle
22.Coalition tunisien pour la dignité et la réhabilitation
[1] https://www.unhcr.org/figures-at-a-glance.html
[2] https://data.unhcr.org/en/documents/details/93613
[3] https://www.unhcr.org/fr/journee-mondiale-du-refugie.html
[4] Le nombre total d’interceptions a augmenté considérablement au cours des dernières années. Alors que, en 2018, 4 519 personnes ont été interceptées, en 2021, au moins 25 657 personnes ont été interceptées par les garde-côtes tunisiens: https://ftdes.net/annual-report-on-irregular-migration-tunisia-2021/
[5] https://reliefweb.int/report/tunisia/tunisia-overview-mixed-movement-profiling-arrivals-landair-and-rescue-sea-may-2022
[6] L’Italie a adopté le 4 octobre 2019 un décret interministériel visant à réduire drastiquement le délai de traitement des dossiers d’immigration en Italie pour les migrants originaires de 13 pays « sûrs », parmi lesquels figurent la Tunisie.