Le gouvernement tunisien a adopté le projet de loi sur la répression des atteintes aux agents des forces armées qu’il a soumis à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP).
Dans son exposé des motifs, le projet de loi vise à protéger les agents des forces de l’ordre et les soldats contre les menaces qui pèsent sur leurs vie et leur sécurité et, partant, sur celle de la société tout entière.
Nous, associations et organisations signataires de cet appel tenons à souligner la nécessité de protéger nos forces armées, de les doter des ressources matérielles et morales nécessaires afin qu’elles puissent faire face au danger terroriste qui menace notre société, de protéger et de soutenir leurs familles, en cas de détresse. Mais nous considérons, en même temps, que le projet en question constitue une menace contre la liberté d’expression et d’opinion.
Ce projet de loi est de nature à réinstaurer le climat de défiance, de suspicion, de peur et de rupture, qui a marqué les rapports entre les forces de sécurité et les citoyens tout au long des décennies de despotisme que l’on croyait révolues, malgré la persistance de certaines pratiques.
Le texte prévoit des peines très lourdes allant jusqu’à la peine de mort, et exempte, en retour, les forces de l’ordre de toutes poursuites pénales, consacrant ainsi leur impunité. Il est contraire à la Constitution tunisienne à toutes les conventions internationales pertinentes.
Nous, associations et organisations signataires, affirmons solennellement que le projet de loi :
· contredit clairement les principes de liberté d’expression et d’édition garantis par la Constitution ainsi que le droit d’accès à l’information, la divulgation de certaines informations étant considérée comme un crime dont le châtiment peut aller jusqu’à dix ans de prison ;
· Il introduit des notions équivoques comme « l’outrage aux forces de la sécurité intérieure », passible de deux ans de prison. Outre l’atteinte à la liberté d’expression, ce type d’infraction met les institutions militaires et de sécurité au dessus de toute critique et de toute réforme ;
· Alors que la Constitution garantit le droit à la vie, et charge l’État de protéger la dignité de la personne et son intégrité physique, le projet de loi bafoue ce droit en exonérant les forces de sécurité de toute responsabilité pénale, en cas de blessures causées à des citoyens, même mortelles, lors de la « répression d’agressions ».
· Le texte est si obscur qu’il permet de légaliser les atteintes contre les citoyens, les violations des droits de l’Homme et assure l’impunité des forces de l’ordre ;
· Le projet contredit des droits de l’homme et les principes fondamentaux du droit international consacrés par des conventions que l’État tunisien est tenu de respecter, et en en particulier :
La Déclaration universelle des droits de l’Homme,
Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
La Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants
Le Statut de la Cour pénale internationale dont l’État tunisien est partie.
· Il contrevient également aux principes et normes internationaux relatifs aux forces armées dont notamment les Principes de la Havane de 1990 qui réglementent l’usage de la force et des armes à feu par les fonctionnaires chargés de l’exécution des lois.
· Le projet de loi cite le préambule de ce document international appelant à la protection des forces de sécurité, mais ignore délibérément d’autresrecommandations essentielles dans le même document contre la dérive sécuritaire, comme l’élaboration de lois encadrant avec précision le recours à la force et prévoyant un contrôle strict de son usage, la pénalisation des violences non justifiées contre les citoyens…
· Il comporte une acception élargie de la notion de « protection » des familles et des personnes dépendant légalement de membres des forces armées : incluant même celles impliquées dans des affaires de droit commun.
· Le texte, s’il vient à être adopté, assurera l’impunité pour ceux parmi les agents des forces armées compromis dans les affaires des blessés et des martyrs de la Révolution non encore traitées par la Justice. Et ce en application de la règle du texte « le plus clément » pour l’accusé.
Nous, associations et organisations signataires,
Appelons toutes les composantes de la société civile et de la scène politique à s’opposer à ce projet et à le faire échouer. Parce qu’il constitue une menace contre la liberté et la démocratie ; parce qu’il balise le terrain au retour de l’État sécuritaire contre lequel le peuple s’est insurgé
Affirmons que le dispositif pénal existant, relatif à la protection des forces de sécurité est amplement suffisant pour réprimer les atteintes à leur encontre ;
Appelons l’ARP à ne pas adopter ce projet de loi.
Les Associations et organisations signataires :
– Union Générale Tunisienne du Travail (UGTT)
– Ordre National des Avocats Tunisiens (ONAT)
– Association des Magistrats Tunisiens (AMT)
– Ligue Tunisienne des Droits de l’Homme (LTDH)
– Union des Magistrats Administratifs(AMA)
– Coordination Nationale Indépendante pour la Justice Transitionnelle (CNIJT)
– Réseau Euro-méditerranéen des Droits de l’Homme (REMDH)
– Association des Femmes Démocrates (ATFD)
– Association des Femmes Tunisiennes pour la Recherche sur le Développement (AFTURD)
– Syndicat National des Journalistes Tunisiens (SNJT)
– Ordre des Huissiers de Justice (OHJ)
– Institut Arabe des Droits del’Homme (IADH)
– Fondation Chokri Belaid contre la Violence (FCBCV)
– Association Vigilance pour la Démocratie et l’Etat Civique (AVDEC)
– Association « Doustourna » (AD)
– Comité pour le Respect des Libertés et des Droits de l’Homme en Tunisie (CRLDHT)
– Forum Tunisien pour les Droits Economiques et Sociaux (FTDES)
– Section Régionale des Avocats de Tunis (SRAT)
– Fédération des Tunisiens Pour une Citoyenneté des deux rives (FTCR)
– Association des Tunisiens en France (ATF)
– Union des Travailleurs Immigrés Tunisiens(UTIT)
– Association Démocratique des Tunisiens en France (ADTF)
– Comité de Vigilance pour la Démocratie en Tunisie (CVDT Belgique)
– Réseau Euro-maghrébin Culture et Citoyenneté (REMCC)
– Association des Travailleurs Maghrébins en France (ATMF)
– Association des Travailleurs Tunisiens en Suisse (ATTS)